Christopher LAUNAY "Laudrec, mélodie anonyme"
Au cœur des années soixante-dix, dans un cabaret parisien miteux, un pianiste meurt tragiquement lors d’une représentation après avoir bu son dernier verre. Ce qui semble à première vue, une mort banale, ne laisse émerger que rancœur, vengeance et décadence et une ribambelle de suspects qui fait surgir le commissaire Laudrec de la nuit noire, avec lui l’inspecteur Lemercier, pour une enquête où se mêlent trahison, mensonge, manipulation, là où tout est illusion…
Voilà un livre dont la couverture a un attrait si magnétique qu'il vous est impossible d'y résister ! Avant même de lire le résumé vous avez le bouquin entre
les mains et êtes en train de vous plonger dans ses lignes ! Je ne pouvais qu'être tentée, moi, la mélomane, par un titre aussi accrocheur associé à une image aussi belle. C'est donc avec plaisir
que j'ai pris connaissance de cet ouvrage et je dois dire que j'ai passé un très bon moment en sa compagnie.
Commençons cependant par clarifier un point. Même si j'adore les intrigues policières, j'ai énormément de mal avec celles se déroulant sur le territoire ...
français. Eh oui, pas patriote pour un sou, je trouve toujours les enquêteurs éloignés de nos contrées beaucoup plus captivants que les nôtres. Il faut dire que nous avons un retard considérable
en la matière ... de mon point de vue. Il y a bien sûr des maîtres du polar français, attention, je le sais fort bien, mais, allez savoir pourquoi, j'ai trop baigné dans les polars nordiques,
anglais et américains, pour concevoir la même passion pour nos frenchies. Bon, ça ne m'a pas empêché de vouloir découvrir cet ouvrage, 100 % français et d'y trouver un certain plaisir. J'avoue
que de me retrouver ainsi catapultée dans les années 70 m'a fait un choc. J'ai eu l'étrange sentiment de me retrouver face à face avec Columbo ! La vieille voiture, les cigarettes et cigares à
répétition (j'imagine l'air, irrespirable ... mes pauvres poumons !), les sandwichs jambon/beurre, la machine à écrire, les cabines téléphoniques ... non, stop, n'en jetez plus ! Alors là, pour
le coup, je dois dire que l'auteur a fait fort car il a très bien réussit à récréer l'ambiance du Paris de l'époque et ses personnages évoluent dans des endroits caractéristiques clairement
définis, on a vraiment le sentiment d'y être. Un peu comme au cinéma ou au théâtre, les décors sont réalistes, jusque dans les détails, c'est très recherché et bien mis en valeur par les
descriptions notamment. De fait, même si on a la sensation d'avoir fait un voyage dans le temps (consenti ou non d'ailleurs) et que tout nous paraît un peu vieillot ou décalé, on retrouve assez
vite nos marques, du moins, assez pour suivre le cours des évènements et ne pas s'arrêter pour se demander ce qu'est un ... bigophone ! Plus sérieusement, le côté désuet de l'époque ajoute un
charme supplémentaire au récit, une petite odeur de naphtaline, de papier jauni, je ne sais comment le décrire, c'est un flashback très réaliste qui vous rappelle que vos parents ont connu ça !
Oh, et j'allais oublié ! Le chapeau et le "manteau" du fameux commissaire Laudrec, on ne fait pas plus Columbo que ça ! En plus il le dit presque le "il faudra que j'en parle à ma femme",
manquait plus que le chien. Ça passe parce que, mine de rien, je l'aime beaucoup ce Columbo, mais on a l'impression par moments d'être dans un cliché ... ce qui m'a fait bien rire, parce que je
sais, que c'était comme ça à l'époque, c'est juste que "ça veut pas imprimer". Bref, un petit moment nostalgique bien maîtrisé par l'auteur, d'autant que ça permet de nous plonger de suite dans
l'ambiance.
Et cette ambiance, c'est celle d'une enquête policière confiée au Commissaire Laudrec et à ses acolytes. Après la mort mystérieuse d'un pianiste dans un
cabaret près des docks, le Commissaire de rend sur les lieux pour découvrir la cause de cette mort ... accident ou assassinat ? Laudrec va devoir se montrer perspicace et garder l'esprit ouvert
pour résoudre cette affaire. Que dire là-dessus ? J'ai bien aimé le déroulé de l'affaire, à tous moments, l'auteur brouille les pistes, fait voler en éclats les certitudes du lecteur et fait
passer notre radar à coupable d'un personnage à un autre. Au final, on se retrouve dans une sorte de huis clos où personne ne semble innocent. Le tout étant de savoir qui a finalement commis le
méfait. C'est bien tourné car le rendu est assez sombre. La scène de crime en elle-même, un cabaret "miteux" pour les soûlards, les hommes travaillant au port, n'a rien de glorieux ou d'attirant,
ses tenanciers sont pour le moins antipathiques et ses employés ne ravivent pas son éclat. On se sent un peu étouffé par cette sensation de saleté qui l'entoure, presque, on trouve logique qu'un
meurtre s'y soit produit, limite on se demande pourquoi ça n'a pas eu lieu avant. L'auteur a mis sur pieds le terrain idéal pour cela, y ajoutant un terreau fertile en la présence des personnages
rattachés à ce cabaret et dont je parlerais un peu plus loin. Ce qu'il est intéressant de suivre au travers de ce récit, ce sont les différentes théories émises par Laudrec, même s'il ne les émet
pas réellement en parlant mais plutôt en laissant le lecteur les deviner au gré de ses pensées et de ses actions. Ça aussi, j'ai bien aimé. Le fait que notre imagination travaille de bout en
bout, le travail n'est pas mâché, on nous donne des indices, des indications, on nous explique dans quelle direction va l'enquête, mais on ne nous dit pas réellement pourquoi, ni qui, ça relève
tout du long de la déduction du lecteur. Et ça, c'est super ! Parce qu'on réfléchit de bout en bout, qu'on nous manipule, qu'on nous embrouille, alors que tout s'éclaircit voilà qu'un nuage passe
et tout devient flou. Même si j'ai trouvé que l'histoire en elle-même n'était pas hyper passionnante, j'ai malgré tout apprécié suivre son cours, voir son évolution, parce qu'elle est bien
écrite, que l'intrigue, le coupable, le mobile, la victime, tout tient la route. Le déroulé est logique, mis en place de belle manière et le lecteur se laisse prendre dans les filets de cette
enquête aux rebondissements multiples. Jusqu'au bout on se demande : qui ? Avec cette histoire, tout est possible, rien n'est sûr, un classique qui fonctionne toujours aussi bien ! Ajoutez-y la
petite touche d'expérience du Commissaire Laudrec et vous avez là une affaire menée tout en finesse et sans bavures.
Ce qu'il y a de particulier avec ce roman, ce sont ces personnages. Ils ont des noms ... un peu kitsch, mais on s'y fait : Laudrec, Lazarec, Larrec (des
triplés ?), Lemercier, Collard, et mon préféré (dans le domaine du pire) Cauchon. Du traditionnel comme on en fait plus. Là, c'est vraiment un goût personnel qui parle, un petit détail. Non, ce
qui m'a intriguée avec cette galerie de portraits c'est que, même si je n'ai réussit à m'attacher ou à m'identifier à aucun d'entre eux, ils ont pourtant tous retenu mon attention d'une manière
ou d'une autre. Je m'explique. Alors oui, quand on part sur un meurtre en vase clos comme celui-ci, tous les "habitants" du-dit endroit sont suspects et ici, les présumés coupables ne manquent
pas ! Il y a le tenancier du cabaret, un homme pour le moins fougueux et pas qu'un peu bagarreur, sa femme, cajoleuse mais surtout manipulatrice de talent (enfin, ce dernier adjectif reste
discutable), leur fille, l'étudiante modèle (là aussi, ça se discute), le musicien (mort donc), le serveur agressif (ancien taulard ayant des dettes de jeu, le coupable idéal en somme et
d'ailleurs j'ai trouvé qu'on tombait un peu trop vite dans ce piège et que c'est un écueil qui aurait pu, du, être éviter, mais passons ...), la danseuse qui reste en retrait (en même temps elle
est d'une indifférence incroyable), la chanteuse transsexuelle (là, j'avoue que le personnage de Georgia m'a surprise, dans le bon sens du terme, voilà qui détonne un peu avec l'ambiance guindée
des années 70 instaurée avec les "flics", j'ai adoré ! Même si, là aussi, c'est un peu exagéré par moments ... attention au cliché !), et pour finir, le vieillard malade dont s'occupe la fille
Cauchon et qu'on a tendance à oublier rapidement tant il apparaît peu. Avec eux, il faut se méfier de tout mais surtout des apparences. Chacun a un mobile, une possibilité, pour avoir tué Loic
Vauchard, la victime. Et c'est là que Laudrec entre en scène, à essayer de démêler leurs histoires, de comprendre qui ils sont, ce qu'ils cachent, tous se mêlent, se resserrent, s'intervertit,
plusieurs pistes s'ouvrent en même temps quand d'autres se referment. Le lecteur est au spectacle et ces personnages sont les acteurs. Ils jouent très bien d'ailleurs les rôles qui leur sont
assignés d'ailleurs, peut-être un peu trop, d'ailleurs, chacun est à sa place et avance avec détermination au cœur d'une intrigue bien ficelée. C'est une famille bancale, disparate, bigarrée, qui
nous offre l'éventail d'une société en souffrance où tout est loin d'être rose. Ils vous toucheront chacun à leur manière même si j'ai trouvé qu'ils restaient un peu trop effleurés, comme en
surface ... c'est sans doute dû à la longueur du roman. Quoiqu'il en soit, il y en a pour tous les goûts ! C'est d'ailleurs assez sympathique de voir ces "saltimbanques" s'opposer comme ils le
peuvent aux forces de l'ordre représentées par Laudrec et ses gaillards, ça amène à quelques situations drolatique et altercations pour le moins mouvementées, de quoi pimenter un peu l'ensemble
par des réparties salées. Un régal par moments !
Pour finir, je vous parlerai du style de l'auteur. Voilà un style fluide, agréable, malgré quelques difficultés de lecture du à certaines tournures ou
lourdeur. Comme j'ai eu en mains les épreuves non corrigées je ne peux pas me prononcer en détails là-dessus ... Cependant, pour un jeune auteur, je trouve que la patte est de qualité et marquée
d'une touche personnelle imaginative et construite. Le récit en lui-même est très bien mené, même s'il ne m'a pas passionnée outre mesure, le fait qu'il soit court le rend efficace. Alors oui,
certaines scènes m'ont un peu plus "ennuyée", je les ai trouvé moins nécessaires que d'autres, maintenant, tout se lit facilement, on se laisse emporter par le rythme de l'enquête. Le fait que
notre imagination et notre réflexion soient en permanence sollicitées aide aussi à rendre l'ensemble prenant. On ne se lasse pas de l'intrigue parce qu'on a envie d'en connaître la solution. Tout
est tellement imbriqué que le lecteur n'a qu'une option pour s'en sortir : lire jusqu'à la dernière ligne pour connaître le nom du meurtrier. Là, j'avoue, j'avais ma petite idée dès le départ et
... j'ai vu juste. Dommage ! Pas de réel suspens pour moi. Je ne me suis pas laissée embarquer par l'histoire comme j'aurais voulu parce que j'ai cherché dès le départ le détail qu'on oublie,
j'ai dépassé les évidences. Finalement, c'est peut-être ça le point négatif du roman, ça paraît logique, trop peut-être. Même si tout est fait, et très bien !, pour masquer les pistes, il y a
encore quelques petits détails qui n'échappent pas au lecteur averti. Malgré tout, c'est un bon polar à la française, peut-être un peu "has been", mais c'est ce qui fait tout son charme. C'est
bien aussi de voir qu'il y a 40 ans on était capable de résoudre des enquêtes sans être obligatoirement un "expert" ! Vraiment, ce que je retiens de ce roman, c'est une lecture agréable, un style
qui doit prendre de l'ampleur mais qui, pour un début, est excellent, des personnages intrigants qui savent semer le doute et un mystère à élucider qui en amène d'autres, de quoi faire chauffer
vos méninges tout au long de la lecture. Finalement, je trouve que, même si le texte en lui-même est court, ça lui convient bien. Il n'y pas besoin de plus de fioritures, tout y est à sa place et
l'on se fait une idée précise de l'environnement dans lequel on évolue. C'est clair, net, précis. Les chapitres sont courts, certaines phrases aussi ... J'ai regretté un peu le style de certains
dialogues, où l'usage peut-être un peu excessif des "synonymes" qu'on dirait placer là pour éviter trop de répétitions. Voilà, juste quelques maladresses qui disparaîtront avec la pratique de
l'auteur j'en suis sûre ! D'autant qu'il nous offre ici un très bon premier roman et que, c'est certain, sa plume saura conquérir de nouveaux lecteurs à l'avenir !
En conclusion, voilà un polar à la française qui saura vous conquérir si vous aimez les intrigues psychologiques, celles qui vous plongent dans un labyrinthe
de possibilités multiples vous obligeant à faire fonctionner votre intellect' en permanence. Watson, sortez votre carnet de notes, Sherlock est dans la place !
Nombre de pages : 160
Temps de lecture : 2h00
Prix : 15.50 €
Ce livre a été lu dans le cadre d'un partenariat avec les éditions Persée que je remercie pour cette belle découverte !
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