Amélie NOTHOMB "Barbe Bleue"
La colocataire est la femme idéale.
Quel bonheur de voir reprise ici l'histoire de Barbe Bleue ! On est plongé dans un conte moderne comme je les aime et j'avoue m'être laissée emporter par ce
roman dont la morale n'est pas forcément celle que l'on attend ... Quelque part je me dis que j'ai retrouvé ici la Amélie que j'admire tant, celle qui arrive toujours à me surprendre avec
ses idées farfelues, ses coups tordus dont on ne connaît jamais l'issue. Oui, j'ai été surprise par la chute de cette histoire, comme à chaque fois que j'ai lu l'un des bons romans de cette
auteure que j'aime tant et pourtant, je n'ai pas été exaltée par l'histoire qui m'est restée malgré tout assez opaque. Je m'explique ...
J'ai adoré voir à l'oeuvre la plume acerbe d'Amélie Nothomb, voir les mots se mouvoir comme s'ils étaient les armes d'un combat à mort, observer toutes ses
joutes verbales pleines de passion, de fougue, jouissives. Oui, j'ai admiré une fois de plus l'art de l'auteur qui arrive à opposer deux personnages forts, différents et pourtant au fond
semblables, uniquement avec les mots. Pas besoin d'actes, pas besoin de gestes, ici, tout est dans la substance, la nuance des mots et de leurs usages. Quel plaisir de se sentir emportée par les
dialogues, de se demander qui aura la dernier mot, de voir deux esprits s'envoler ainsi pour se retrouver dans des sphères qui sont loin de ma portée. J'aime beaucoup ces moments d'opposition
uniquement basés sur le texte, ils sont à la fois forts, terribles, et empreints d'une adrénaline incomparable. Magique ! Les mots laissent toujours une trace dans notre esprit, ils sont la base
de l'échange, de la réflexion. Ici, ce moyen prend toute la place dans le texte, on attend avec impatience chaque nouvel échange car on sait qu'il va faire, d'une façon ou d'une autre, avancer le
récit vers un nouveau rebondissement. Un régal !
Le souci de ces dialogues qui portent l'oeuvre et qui m'ont tant enchantée, c'est leurs sujets. J'ai eu beaucoup de mal à m'imprégner des univers dans
lesquels évoluent les personnages. Une fois de plus, arrogance et élitisme sont les deux qualificatifs qui me sont venus à l'esprit quand j'ai lu ce livre. Oui, j'ai l'impression parfois
qu'Amélie pousse le trait un peu loin, qu'elle s'enferme dans une sorte d'aristocratie personnifiante et qu'elle en oublie le reste. On se sent exclu de ce monde qu'elle dépeint, confus dans les
approches thématiques, perdu par moments dans les réflexions abordées. Alors oui, on a les bases du discours, on connaît l'Inquisition, on connaît la foi catholique, on connaît l'or, le champagne
et le reste, mais ces éléments qui reviennent sans cesse et sont si éloignés de mon monde m'ont laissée de marbre. Je n'ai pas réussi à y trouver de l'intérêt. Je ne sais pas, le côté justement
aristocratique du texte me l'a totalement rendu presque incongru, je n'y avais pas ma place, je ne pouvais pas m'identifier à cela. Ces obsessions du champagne et de l'or ne m'ont pas touchée, au
contraire, elles m'ont parues presque futiles, inopinées. J'ai éprouvé un sentiment de rejet face à ces échanges qui paraissent tellement incongrus aux vues du monde dans lequel nous évoluons
aujourd'hui, décalés, déphasés. Impossible pour moi d'y voir un miroir ...
Il faut dire aussi que les personnages principaux ne sont pas des plus attachants. Cette histoire repose sur une rencontre, celle de Don Elemirio et de sa
nouvelle colocataire, Saturnine. Petite parenthèse pour dire qu'une fois encore, Amélie s'est laissée aller à piocher dans son répertoire de prénom à coucher dehors, et que, pour ça justement, je
l'admire toujours autant. Quelle importance que ce prénom paraisse si désuet, si improbable ? Amélie arrive à le faire coller à la peau de son personnage comme personne d'autre n'y arriverait.
Toujours dans l'extrême, mais toujours aussi dans la justesse. J'adore ! Donc, je parlais d'une rencontre. On indique au départ à Saturnine qu'elle va rencontrer un homme étrange, reclus, qui a
déjà eu plusieurs colocataires qui ont toutes disparues. Mais alors, pourquoi manifester tant d'intérêt à cet homme ? On pourrait le qualifier d'avide ou de morbide, les deux adjectifs lui
siéraient à merveille ! On se demande dès le départ pourquoi, alors qu'elles savent toutes de quoi il retourne, ces femmes continuent à se présenter auprès de l'aristocrate pour devenir sa
colocataire. Ça attise de suite la curiosité du lecteur. Ça m'a intriguée et de suite, j'ai voulu en savoir plus ...
Cet homme est le déclencheur de l'aventure. En choisissant Saturnine, il l'embarque dans une sorte de relation malsaine et étrange basée sur des échanges
verbaux, des combats d'idées, des oppositions sans cesse renouvelées de manichéisme et d'éthique. Il est la base de tout ce texte, même si c'est Saturnine qui le raconte, qui le vit. Il en est le
centre, celui par qui tout commence, tout arrive, tout se finit. Il est bizarre, issu de la grandesse espagnole il n'a de cesse de mettre en lumière sa valeur, sa noblesse, de défendre sa foi
catholique inébranlable qui le pousse à se confesser et à payer cher son prêtre pour absoudre ses pêchés. Il lit les textes des procès de l'Inquisition espagnole comme on lirait des poèmes
d'amour, il a toujours rêvé d'être un oeuf, et pour lui, la femme idéale est une colocataire. Il vit reclus depuis vingt ans et n'a pas de relations en dehors de celles qu'il entretient avec ses
fameuses colocataires. Comme personnage avenant et sympathique, on a vu mieux ! Il est même plutôt flippant, quoique très banal au fond - et c'est bien là sa force d'ailleurs, il paraît
inoffensif - et pour tout vous dire, on se demande bien ce qui a pris à notre héroïne d'accepter d'être sa colocataire ...
Autant vous la présenter de suite. Saturnine est belge et enseigne au Louvre. Voilà en gros, ce qu'on peut en dire. Son trait le plus intéressant, c'est
qu'elle n'a pas peur de Don Elemirio malgré les rumeurs qui courent à son sujet, elle lui tient tête dès le départ, bien décidée à ne pas tomber dans le même piège que celles qui l'ont précédé, à
savoir tomber amoureuse du fameux Don. J'avoue qu'au début, je me suis dit qu'elle avait quand même un sacré tempérament, j'ai tout de suite apprécié le fait qu'elle tienne tête à l'Espagnol,
même si j'ai souvent regretté qu'elle soit toujours la première à quitter le champ de bataille, une sorte de fuite qui m'a un peu agacée, surtout que c'était pour en revenir au même point par la
suite ... Mais passons. C'est un personnage qui est censé être plus normal que celui de l'Espagnol. Dans la vision dichotomique du texte, elle représente le bien et lui le mal. Pourtant, quand
son ami vient lui rendre visite, on sent que les choses ont basculées, elles ne sont plus ni toutes blanches, ni toutes noires et laissent apparaître pas mal de nuances de gris. Finalement, ce
personnage se laisse aussi entraîner par l'enchaînement de pensées de l'Espagnol. J'ai eu un moment l'impression de me retrouver dans la série Esprits Criminels, avec cette femme qui tente de
comprendre pourquoi il en est arrivé à faire disparaître ses colocataires, comment s'est arrivé (même si ça, c'est énoncé dès le départ avec la menace/l'interdiction de la chambre noire), quelles
sont ses motivations, etc. Passionnant ! Rien de tel que de tenter de décortiquer la psychologie d'un tueur en série pour que le lecteur se prenne au jeu.
Et j'avoue que cette partie du texte m'a fascinée. Non seulement parce que les révélations ne viennent que tardivement dans le texte, ce qui nous laisse tout
le temps de peaufiner des théories aussi fumeuses les unes que les autres et pour ma part, bien loin de la vérité, mais aussi parce que la révélation sur le motif de ses meurtres, sur la comment,
sur les traces qui en sont restées dans la chambre noire, m'ont totalement sidérée. Alors ça, je ne m'y attendais pas ! C'est bien le mobile de meurtre le plus inattendu, le plus étrange, le plus
tordu et le plus absurde qu'il m'ait été donné de voir dans un bouquin. Quand vous aurez lu ce livre, vous comprendrez ma perplexité. Et là encore, je me dis qu'Amélie Nothomb tient du génie,
c'est qu'il fallait y penser et oser le mettre en forme ! C'est morbide, pervers, obscur, étrange et dérangeant. Bref, on retrouve là une part de la grande Amélie, celle qui nous permet de
découvrir les méandres du cerveau d'un tueur et par la même de nous fasciner avec ses théories hallucinantes. Une fois de plus, j'ai été conquise par l'originalité du scénario "polar" monté par
l'auteur, je n'ai pas vu la fin venir, je ne m'y attendais pas et on peut dire qu'elle a réussit son coup !
Pour conclure, je dirais que je ne pensais pas au final être si enthousiaste après ma lecture mais j'ai réellement apprécié ce roman. Mon avis reste
cependant mitigé car les références contextuelles m'ont éloignée du coeur du récit alors que je pense qu'elles laissaient paraître des indices importants sur la psyché du tueur qui du coup m'ont
sûrement échappé. Un point négatif majeur. Mais la fluidité du texte, l'emprise des dialogues qui vous embarquent à une vitesse folle dans un combat épique et le final du livre m'ont réconciliée
avec Amélie. Assurément un livre qui ne restera sans doute pas dans ma mémoire dans les moindres détails mais dont je retiendrai l'intrigue particulière et le talent de son auteur.
Nombre de pages : 180
Temps de lecture : 1h00
Prix : 16.50 €