Eric-Emmanuel SCHMITT "Ulysse from Bagdad"
Saad veut quitter Bagdad, son chaos, pour gagner l'Europe, la liberté, un avenir. Mais comment franchir les frontières sans un dinar en poche ? Comment, tel Ulysse, affronter les tempêtes, survivre aux naufrages, échapper aux trafiquants d'opium, ignorer le chant des sirènes devenues rockeuses, se soustraire à la cruauté d'un geôlier cyclopéen ou s'arracher aux enchantements amoureux d'une Calypso sicilienne ? Tour à tour violent, bouffon, tragique, le voyage sans retour de Saad commence. D'aventures en tribulations, rythmé par les conversations avec un père tendre et inoubliable, ce roman narre l'exode d'un de ces millions d'hommes qui, aujourd'hui, cherchent une place sur la terre : un clandestin. Conteur captivant, témoin fraternel, Eric-Emmanuel Schmitt livre une épopée picaresque de notre temps et interroge la condition humaine. Les frontières sont-elles le bastion de nos identités ou le dernier rempart de nos illusions ?
Que dire de ce roman ? Je ne sais pas vraiment ce que j'en ai pensé, je ne peux pas dire que j'ai détesté mais je n'ai pas vraiment été conquise non plus. J'ai eu du mal avec le sujet, le personnage central, le style et en même temps, j'ai apprécié tout ça. Ce livre me laisse une drôle d'impression, confuse mais pas dénuée d'intérêt.
Moi qui admire la plume de l'auteur, j'avais hâte de me plonger dans ce roman au titre évocateur, une invitation au voyage. On nous parle avant même les premières lignes d'une Odyssée et d'un rêve d'Orient. Pourtant, on ressent aussi tout le tragique que recèle ces deux noms "Ulysse", le voyageur, séparé de sa femme pendant des dizaine d'années et subissant nombre d'épreuves imposées par les Dieux et "Bagdad", une ville à l'histoire magique qui a fanée sous les coups des dictateurs et de la guerre. C'est le paradoxe du livre, il nous offre ce voyage comme un espoir mais il nous annonce dès le départ qu'il n'y aura sans doute pas de Happy End. Avant d'ouvrir ce roman, j'étais déjà triste.
L'auteur nous invite à suivre lors d'un road trip un peu particulier, puisqu'il s'agit de celui d'un clandestin, Saad Saad, Triste Triste (en anglais), Espoir Espoir (en arabe). Ce jeune baghdadi va nous raconter sa vie sans détours, sans faux-semblants, sur la route mais aussi nous expliquer ce qui l'a poussé à le prendre. Il va nous offrir ses rêves, ses doutes, ses illusions. Malgré cette intimité qu'il nous fait partager, j'ai eu du mal à m'attacher à ce personnage. Pourquoi ? J'ai encore du mal à me l'expliquer. Peut-être l'ai-je mal jugé mais je l'ai trouvé malgré tout assez distant, plutôt froid. Maintenant ça s'explique aussi par ce qu'il vit et à vécu, mais je ne sais pas, parce qu'à certains moments on ressent aussi ses émotions ... comme je vous le disais plus haut, c'est assez confus pour moi.
Je ne sais plus qui a dit que le but d'un voyage n'était pas réellement sa destination mais le voyage en lui-même. Ici, même si la destination finale reste l'objectif impérieux du voyage pour le narrateur, on sent du point de vue du lecteur, que c'est aussi une forme de voyage initiatique qu'entreprend Saad. On le voit traverser de nombreuses épreuves, surmonter plusieurs obstacles, faire des rencontres plus ou moins heureuses, emprunter des chemins de traverse, risquer sa vie à chaque instant, le tout sur fond de réflexion philosophique. Qui suis-je ? Qu'est-ce qui me définit ? Dans ce sens, l'épisode des verrues est très caractéristique puisqu'il oblige Saad à poser des mots sur ce qu'il attend, ce qui le définit. C'est une quête que chaque Homme est amené à effectuer un jour et qui, de fait, permet à chacun de s'identifier au personnage. Que l'on soit homme, femme, oriental ou occidental, ce voyage devient le nôtre.
J'ai trouvé très intéressant que l'auteur choisisse de mettre en avant ici le point de vue d'un irakien sur les conflits avec les États-Unis. Nous les avons vécu du côté des "libérateurs", avec notre arrogance mais aussi parfois nos réserves, et il est vraiment utile de revivre ces périodes de guerre de "l'intérieur". On nous parle sans cesse aux informations de dictatures et de guerres, comme en Syrie en ce moment, ça en devient presque banalisé. On a l'impression de connaître, de comprendre, d'avoir déjà vu tout ça. Pourtant, tant qu'on ne l'a pas vu, pas vécu, on demeure ignorant. Grâce à ce roman, on imagine, on visualise, les privations, les pénuries, les tortures, les violences, les souffrances et les morts. C'est insoutenable. On a envie de vomir devant certaines scènes. Ici, la réalité dépasse de loin la fiction, ce qui la rend encore plus tragique, plus terrible. J'ai éprouvé un profond sentiment d'injustice et une furieuse envie de révolte face à tous les malheurs subis par Saad et sa famille. J'en avais parfois les larmes aux yeux.
Ce livre, c'est celui d'un combat. Celui d'un homme qui cherche un monde meilleur, un paradis sur Terre et qui, pour tenter de l'atteindre, va quitter le pays qui l'a vu naître et sa famille. Il va laisser derrière lui un pays en ruines et s'engager sur la route des clandestins. Voyageant avec des passeurs de drogues, tantôt gigolo au Caire, tantôt naufragé à Malte, amant en Italie ou réfugié en France, il va franchir de nombreuses étapes afin d'atteindre l'Angleterre, la terre promise. Un périple long, épuisant, dangereux, qui paraît presque irréel. Et pourtant, là encore, l'auteur vise juste puisqu'il s'agit d'un thème d'actualité et que le cas de Saad est loin d'être unique, il n'y a qu'à voir l'épisode du Caire pour le comprendre, et faire la connaissance de Boubacar, l'un des personnages qui m'a le plus touchée dans ce roman. Il est à la fois dérangeant de voir ainsi étaler la "misère humaine" et en même temps on sait pertinemment que c'est un mal nécessaire car il permet au lecteur d'ouvrir les yeux sur un monde qui n'est que soupçonné et apporte une réflexion sur l'identité des peuples et l'utilité des frontières. Une claque !
Ce qui allège un peu le texte et lui apporte un peu de couleurs, c'est l'amour. Tout d'abord, celui que Saad va porter à Leila dont il tombe fou amoureux à cause de sa façon de fumer. Cet amour sera son premier moteur pour atteindre son but et cette fameuse plage du Nord de la France ... Ensuite, il y a l'amour qu'il y a entre lui et son père. J'ai beaucoup aimé le personnage du père, cultivé, plein de sagesse et d'humour, totalement décalé mais profondément attachant. J'ai adoré voir son fantôme surgir du néant pour suivre Saad, lui parler, le sermonner et le pousser vers l'avant. Leurs échanges sont emplis de tendresse. Le fait que le fils parle ainsi avec le fantôme de son père ne m'a pas paru fou ou incongru mais tout simplement touchant. Cette relation père/fils est indispensable au texte, elle lui offre une grande part de sensibilité et les drôleries paternelles sont juste incontournables !
Je ne rentrerai pas plus dans les détails, l'essentiel est dit je pense. Ce livre se lit dans le détail justement, c'est là que se trouve son âme. Dans une cigarette, dans une petite fille qui apparaît dans une usine insalubre, dans un aveu sur la mer ... Une belle écriture, des pensées profondes, des mots magiques, une fois de plus, un livre qui nous porte, nous touche et nous amène à réfléchir. A découvrir !
Nombre de pages : 306
Temps de lecture : 3h15
Prix : 20.30 euros (sorti en poche)